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Thaïs pour hommes
Tajlanda turismo por vakeroj

Après l'Amérique du Sud, Hadès poursuit son voyage d'observation du tourisme occidental dans le monde, et de son impact sur les cultures locales. Reportage en Asie, à Bangkok, la Cité des Anges, et du tourisme sexuel.

Bangkok, Thanon Khao San

Rue Khao San. Lieu de pérégrination des touristes. Un brouhaha, une agitation sans pareil, les enseignes lumineuses de multinationales occidentales et d'hôtels à bas prix surplombent la rue. Des voyageurs de passage, les yeux cernés, sac sur le dos. La musique électronique à plein volume cadence le va-et-vient incessant des tuk tuk. En arrière-plan, des jeunes Thaïlandaises très court vêtues, le visage poudré au parfum oriental, lèvres maquillées, perchées au bar de cocktails ambulant, espèrent rencontrer leur sugar daddy.

Une planche de bois posée sur une motocyclette side-car fait office de comptoir. Des nouilles crépitent dans le fond d'un wok de fonte. Des germes de soja sur une plaque d'aluminium. Des légumes verts précuits, des cacahouètes, dans des bols de plastique. Du sel, du curry, dans des verres. Des œufs dans un seau à même la selle du trois-roues. Seize heures par jour, Lin, la vingtaine, y prépare le pad thai, spécialité thaïe de nouilles, d'œufs et de soja, pour 470 bahts (10 euros) par jour. D'un geste net mais élégant, des arabesques de ses mains, il renoue à sa taille son tablier bleu vif, sous lequel on distingue les boutures d'une poitrine féminine. Lin, bouddhiste fervent, est transsexuel.

Post Sudameriko, Hades daŭrigas sian vojaĝon cele al observado de la okcidenta turismo kaj de ties influo al lokaj kulturoj. Raportaĵo en Azio, en Bangkoko, Urbo de la Anĝeloj, kaj de la seksa turismo.

Bangkok, Thanon Khao San

Strato Khao San. Vagejo por turistoj. Regas senparaj murmurego kaj klopodo, superas la straton lumŝildoj de okcidentaj firmoj kaj de malmultekostaj hoteloj. Trairas vojaĝantoj, lacaj okuloj, dorsosakoj. Elektronika muziko laŭtegas kaj ritmas la senĉesan tien-kaj-reen iradon de tuk tuk-ĉaroj. Surfone, kun vizaĝoj pudrokovritaj laŭ orientazia stilo, kaj lipoj ŝminkitaj, apenaŭ vestitaj junaj tajlandaninoj altsidas ĉe stratvendejo de miksdrinkaĵoj kaj esperas baldaŭ renkonti sian suggar daddy (dolĉan paĉjon).

Ligna breto sur motorbiciklo uzatas kiel servotablo. Nudeloj brue fritatas en gisaĵa ŭoko. Sojĝermoj sur aluminia plato. Antaŭkuiritaj verdaj legomoj kaj arakidoj atendas en plastaj bovloj; salo kaj kareo en glasoj; kaj ovoj, en akvositelo rekte sur la selo de la trirada motorciklo. Ĉi-tie, po dek ses horojn tage, apenaŭ dudekjara Lin pretigas pad thai-on (tajlandan frititan nudel-mangaĵon), kontraŭ 470 badoj (10 eŭroj) tage. Per preciza kvankam eleganta kaj arabeska mangesto, li ree nodas sian brilbluan antaŭtukon, sub kiu ekvideblas stikaĵoj de ina brusto. Lin, fervora budaismano, estas transgenrulo.

L'Asie, entre religion, pauvreté et tourisme. Ici, en Birmanie (Crédits photographiques : Stéphanie Bellenger)

La Thaïlande est une monarchie constitutionnelle, dirigée par le roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX) et le Premier ministre Thaksin Shinawatra. Le pays est peuplé de plus de 60 millions d'habitants, dont plus de 80% de Thaïs. L'agriculture occupe 54% de la population active et contribue pour 10% au PNB du pays. La Thaïlande est un important exportateur de riz (premier exportateur mondial), de caoutchouc (premier exportateur mondial) et de sucre.

Bidonville. Lui et sa famille très pauvre ont quitté les campagnes du delta du Chao Phraya pour partager un quatre mètres carrés au toit de tôle froissée chauffé au charbon de bois, dans un bidonville de banlieue, aux abords de la voie ferrée qui relie Bangkok à la ville de Chiang Mai.

Mon pad thai finit de cuire dans le wok. Je regarde en silence la rue Khao San. Le souffle coupé. L'abondance. La jungle urbaine. La démesure. L'excitation. L'indécence parfois qui défile en talons hauts dans la rue pavée.

Assis les jambes croisées moulées dans un jean, Lin rafraîchit son maquillage. Il me montre avec fierté la cicatrice de sa dernière intervention chirurgicale pour l'ajout de prothèses mammaires, qu'il complète avec un traitement hormonal sous forme d'injections hebdomadaires. Transsexuel, il est. Femme, il veut être.

Mais pas comme ceux qui s'exhibent grossièrement vêtus et maquillés sur les planches d'un cabaret katoey (transsexuel, en thaïlandais) de Thanon Sukhumvit. Il veut être femme sans froufrou ni artifice. Il veut se parfumer, se parer de bijoux, se sentir aimé et respecté socialement, vivre dans la douceur, dans le raffinement et la délicatesse. Quitter à jamais ce toit de tôle froissée, en finir avec les pad thai. Il rêve d'Occident. La femme que je suis l'écoute et tente de comprendre. Être femme. Une conviction profonde. Il me le dit les yeux rivés sur son miroir de poche, son amulette près du cœur. Des larmes naissent, il me sourit. Un ange, visible à la lumière des sémaphores.

Barakurbo. Li kaj la aliaj tre malriĉaj familianoj forlasis la kamparon de la Chao Praya-a delto por kune ekloĝi en kvarkvadratmetra ejo hejtita per lignokarbo, sub ĉifita lada tegmento, en antaŭurba barakaro apud la fervojo kiu ligas Bangkokon al urbo Chiang Mai.

Mia pad thai finkuiriĝas en la ŭoko. Mi silente rigardas straton Khao San. Mia spiro haltas. Urba ĝangalo: abundego, stimuleco, troeco. Ankaŭ eĉ maldececo, kiu foje paradas kun altaj kalkanumoj sur pavimita strato.

Lin iom reŝminkas sin dum li sidas, kruciginte siajn en ĝinzo mulditajn krurojn. Li fiere montras al mi la cikatron de la lasta ĥirurgia operacio por aldono de artefaritaj mamoj. La transformigon li kompletigas per ĉiusemajna injekto de hormonoj. Transgenrulo li estas. Virino li volas esti.

Sed ne kiel tiuj, kiuj montraĉas sin maldelikate vestitaj kaj ŝminkitaj sur la scenejo de iu katoey (transgenrula) kabaredo de Thanon Sukhumvit. Li volas esti vera virino, sen troaj ornamaĵoj aŭ trompaĵoj. Li volas sin parfumi, juvelojn surhavi, esti amata kaj respektata en socio, vivi en mildeco, malkrudeco kaj delikateco. Forlasi porĉiame la tegmenton el ĉifita lado, forlasi la pad thai-ojn. Li revas pri okcidento. Mi, ina, aŭskultas kaj provas kompreni. Esti virino. Profunda certeco. Li tion diras al mi, kaj okulfiksas sian poŝ-speguleton. Amuleto pendas je la koro. Larmoj aperas, li ridetas al mi. Anĝelo, videbla sub la lumo de la semaforoj.

Mal de vivre. Des moines novices, le crâne rasé, tout d'ocre vêtus, porte après porte, font l'aumône, un bol de bois laqué en main. Devant son autel aux airs de maison de poupées, Lin, qui a lui aussi été moine, les mains jointes, pratique le dharma pour se protéger de la souffrance, de l'insatisfaction et du mal de vivre (dukkha).

"I'm not in Thailand only for ruins", lui glisse à l'oreille un touriste quinquagénaire, fier partisan du tourisme sexuel. De plus en plus d'hommes viennent en Thaïlande pour les femmes. Parfois pour les hommes. Mon faiseur de pad thai, la tête baissée, se prosterne devant ce ventre aux formes disgracieuses. Il le regarde avec fascination. De ses lèvres baveuses, le vieux passe commande. J'observe en silence. Une colère intérieure. Un dégoût pour cet homme. Je crains pour Lin.

Le shopping de chair est désormais monnaie courante la nuit à Bangkok, particulièrement dans les salons de massage et bars prévus à cet effet sur Thanon Sukhumvit. Le Soi Cowboy, un des premiers du genre, propose à sa clientèle masculine de libérer une des filles pour quelques billets, pendant que certaines s'exercent à rédiger une lettre d'amour à leur nouveau sugar daddy dans un cybercafé adjacent.

Je me lève, laissant, sur cette route qui n'est pas la mienne, un enfant. Que faire pour stopper ce fléau, devenu le dernier espoir pour beaucoup ? Que faire pour arrêter notre société de consommation, qui stimule un monde à double visage, et conduit ses enfants à jouer de leur vie pour ce foutu bonheur dont ils rêvent en regardant des séries télévisées ?

Stéphanie Bellenger

Malĝojemo. Novicoj, kun kapo razita, okro-kolore vestitaj, almozpetadas de pordo al pordo kun lakita ligna bovlo en la mano. Lin ankaŭ iam estis monaĥo. Antaŭ sia altaro, kiu similas pupdomon, li kunigas la manojn kaj praktikas dharma-on por ŝirmi sin kontraŭ sufero, malkontentemo kaj malgajemo (dukkha).

"I'm not in Thailand only for ruins", flustras en lia orelo kvindekjara turisto, fiera subtenanto de seksturismo. Pli kaj pli da viroj venas en Tajlandon por virinoj. Foje por viroj. Mia pad thai-a pretiganto, kape kaj tutkorpe kliniĝas antaŭ tiu malgraciforma ventro. Li kun fascino rigardas la turiston. Per siaj salivplenaj lipoj la maljunulo mendas. Mi silente observas. Ena kolero. Abomeno al tiu viro. Mi timas por Lin.

Aĉeto de karno estas kutima komerco en Bangkoka nokto, ĉefe en tiucelaj masaĝejoj kaj drinkejoj de Thanon Sukhumvit. La Soi Cowboy, unu el la unuaj tiaj, proponas al viraj klientoj eblecon liberigi unu el la junulinoj kontraŭ kelkaj monbiletoj. Aliaj junulinoj dume trejniĝas por skribi amleterojn al siaj novaj sugar daddy en apuda retkafejo.

Mi ekstaras, kaj forlasas iun infanon en vojo kiu ne estas mia. Kion fari por haltigi ĉi tiun plagon, kiu iĝis lasta espero de multaj? Kion fari por haltigi nian konsumisman socion, kiu instigas duvizaĝan mondon kaj kondukas ĝiajn infanojn hazardi sian vivon por tiu damna feliĉo pri kiu ili revas rigardante televidajn seriojn?

Stéphanie Bellenger
Tradukis Boris-Antoine Legault

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