AccueilLettre 1.9999 → Tourisme, culture d'avenir ?

Tourisme, culture d'avenir ?
Turismo, estonta kultivado?

Pour les pays pauvres, le tourisme est devenu une importante source de devises. Au point que leurs sociétés se réorganisent autour de ce nouvel objet économique, le touriste. Une manne qui ne profite pas à tous. Reportage en Amérique du Sud.

Levés aux aurores, ils ont passé plusieurs heures à l'arrière de camions-bennes sur une piste cahoteuse au milieu de la pampa péruvienne. Ni le froid du petit matin, ni les 180 kilomètres qui séparent Arequipa (principale ville du sud du Pérou) du canyon de Colca n'ont entamé leur détermination. Toute cette matinée de mai, la plaza de Armas a résonné des slogans des Cayllominos qui réclamaient, entre autres, que débute enfin la construction d'une route asphaltée reliant leur petite ville de Caylloma à Arequipa.

Por la malriĉaj landoj, la turismo iĝis grava valut-fonto. En tia grado, ke iliaj socioj reorganiziĝas ĉirkaŭ tiu nova merkata objekto: la turisto. Jen manao, kiun ĉiuj ne profitas. Raportaĵo, en Sudameriko.

Aŭrore ekstarinte, ili pasigis plurajn horojn en la malantaŭa parto de baskulkamionoj sur malglata pado meze de la Perua kamparo. Ilian decidecon ekbreĉis nek la mateniĝa malvarmo, nek la 180 kilometroj inter Arequipa (ĉefa urbo de la sudo de Peruo) kaj la Colca kanjono. Dum tiu ĉi tuta maja mateno sur la plaza de Armas sonoradis la frapfrazoj de la Cayllominos, kiuj postulis interalie, ke finfine komenciĝu la konstruo de asfalta vojo liganta ilian urbeton Caylloma kun Arequipa.

Des manifestants réclament une part des bénéfices du tourisme : 'L'argent de l'Autocolca pour Caylloma' (Crédits photographiques : Antoine Bayet)

Bloquer les routes, une spécialité péruvienne ? La Bolivie, où les habitants d'El Alto, sur les hauteurs de La Paz, savent paralyser le pays entier en empêchant l'accès à la capitale, et l'Argentine, où les piqueteros, chômeurs adeptes de ces blocages, existent depuis les années 90, connaissent aussi cette forme de mobilisation sociale.

Oubliés. Mais s'ils manifestent aujourd'hui, et s'ils ont ensuite bloqué les routes autour d'Arequipa, c'est surtout pour rappeler au gouvernement local qu'ils existent, et qu'ils veulent eux aussi profiter des fruits du tourisme. Luisa fait partie de ceux-là, et pour elle "ce n'est pas juste que, dans une province si riche grâce au tourisme ou à l'artisanat, une grande partie de la population soit dans une situation d'extrême pauvreté". Oublié l'agriculture, ringardisé l'élevage, maintenant c'est le touriste qu'on cultive. Pour visiter le canyon, qui attire près de 100 000 visiteurs par an, chaque touriste verse un droit d'entrée de 6 dollars à l'autorité qui gère le parc, l'Aut ridad autónoma del Colca (Autocolca), mais celle-ci ne joue pas le jeu de la redistribution. Pour les Cayllominos, dont près des deux tiers vivent en dessous du seuil de pauvreté, s'en prendre au gouvernement local, c'est une manière de dénoncer la corruption, en partie responsable de la situation. Ce que confirme à mots couverts un policier posté là : "Vous savez, notre président, Alejandro Toledo, sa cote de popularité n'atteint même plus 10 %, il y a bien des raisons…" Alors, pour récolter malgré tout une partie des plus de 1000 dollars que dépense en moyenne un touriste lors de son séjour au Pérou, certains n'hésitent pas à se servir directement à la source, sans attendre l'intervention de l'État. Et c'est ainsi toute la société qui s'adapte.

Forgesitaj. Sed, se ili hodiaŭ manifestacias, kaj se ili poste ŝtopis la vojojn ĉirkaŭ Arequipa, estas ĉefe por rememorigi al la loka registaro ke ili ekzistas, kaj ke ankaŭ ili volas ĝui la fruktojn de la turismo. Luisa estas unu el ili, kaj laŭ ŝi "ne estas juste ke, en tiom riĉa provinco dank' al turismo kaj metiarto, granda parto de la loĝantaro estas en situacio de ekstrema malriĉeco". Forgesita agrikulturo, eksmoda bredado, nun la turiston oni kultivas. Por viziti la kanjonon, kiu allogas preskaŭ 100 000 vizitantojn jare, ĉiu turisto devas pagi 6-dolaran enirrajtigilon al la instanco kiu regas la parkon, l'Autoridad autónoma del Colca (Autocolca), sed tiu ĉi ne lojale redistribuas. Por la Cayllominos, el kiuj du trionoj vivas sub la sojlo de malriĉeco, ekataki la lokan registaron estas maniero por denunci la korupton, parte responsan pri la situacio, tion confirmas policisto ĉi tie postenanta: "Vi scias, nia prezidanto Alejandro Toledo, lia populareco eĉ ne atingas 10%, ja estas kialoj…" Tial, por rikolti malgraŭ ĉio parton de la pli ol 1000 dolaroj, kiujn ĉiu turisto averaĝe elspezas dum sia restado en Peruo, iuj ne hezitas ĉerpi rekte ĉe la fonto, sen atendi la intervenon de la Ŝtato. Kaj jen tiel la tuta socio adaptiĝas.

Reconversion. Une frontière plus loin, c'est le cas d'Efraim. Comme ses frères le font encore, comme son père l'a fait avant lui, tous les matins ou presque, il emprunte la route qui relie Potosí, cité coloniale du sud de la Bolivie, au Cerro Rico, trois kilomètres plus haut. Il y a quelques siècles, c'est par wagons qu'était extrait de la bien nommée "Colline riche" l'argent qui partait pour l'Europe, alors qu'aujourd'hui c'est à la recherche d'étain que les mineurs continuent à creuser la montagne. Mais si Efraim, avec sa bouche déformée par les feuilles de coca, se faufile toujours dans les galeries, c'est d'un tout autre métal qu'il vit : celui des pièces des touristes. Qui le paient, plutôt bien d'ailleurs, pour cette plongée au coeur d'un Germinal du XXIe siècle. Quelques heures durant, c'est dans un anglais quasi parfait qu'il leur fera partager le sort de ces damnés de la terre. Sa reconversion, c'est avec un sourire qu'Efraim l'évoque : "Je ne sais pas trop ce qui vous pousse ici, à ramper dans ces galeries, mais comme c'est vous qui me faites vivre, j'évite de trop me poser la question !"

Konvertado. Unu landlimon pli for, tiel faras Efraim. Kiel liaj fratoj plu nun, kiel lia patro antaŭ li, ĉiumatene aŭ preskaŭ, li ekiras sur la vojo, kiu ligas Potosí, koloniepoka urbo en suda Bolivio, kun la Cerro Rico, tri kilometrojn pli alten. Antaŭ kelkaj jarcentoj, povagone oni elprenis el la trafe nomata "Riĉa Monteto" la arĝenton kiu foriris al Eŭropo, dum nuntempe por serĉi stanon la ministoj plufosas la monton. Sed, se Efraim, la buŝon misformigitan de la kokafolioj, plu ŝoviĝas en la galerioj, per tute alia metalo li vivas: tiu de la turistaj moneroj. Kiuj pagas lin, eĉ sufiĉe bone, por tiu plonĝo en la koron de iu Germinal de la XXIa jarcento. Dum kelkaj horoj, per preskaŭ perfekta angla lingvo, li kunspertigos al ili la sorton de la proletar' de l' tero. Pri sia aliposteniĝo Efraim parolas kun rideto: "Mi ne tro scias kio alpelas vin tien, por rampi en tiuj galerioj, sed ĉar mi vivas dank' al vi, mi evitas tro multe pridemandi min!"

Ni une quelconque multinationale de l'énergie, ni l'État bolivien ne verse un salaire aux mineurs de Potosí, où le coût d'extraction de l'étain est deux ou trois fois supérieur au cours mondial. Organisés en coopératives, les 6000 mineurs s'exploitent en fait… eux-mêmes, percevant des salaires de misère dont ils doivent soustraire le prix de la dynamite utilisée pour faire sauter les veines de minerai. Leur espérance de vie ne dépasse pas 45 ans.

Harangues. À Pisac (sud du Pérou), Gloria entend bien, elle aussi, tirer profit de la déferlante des touristes qui visitent là l'un des plus beaux sites incas de la région. Mais, à l'inverse d'Efraim, elle n'a pas changé ses traditions, au contraire : elle les met en avant. L'artisanat traditionnel, c'est son créneau. Et équitable, s'il vous plaît. Sur le pas de sa boutique, elle harangue ceux qu'elle repère être francophones dans un français qu'elle dit avoir appris "avec un amoureux". Avec des arguments atypiques, puisqu'à l'en croire "les francophones ne sont pas comme les gringos américains". Qu'elle peut, avec eux, "parler de commerce équitable, ça [les] intéresse !". Elle l'assure, tout ce qui est vendu dans sa boutique, c'est "de l'équitable". Les bras chargés, on la quitte, non sans qu'une dernière fois elle nous ait demandé : "Vous me promettez que vous allez écrire à votre bouquin, là, le Guide du routard, pour qu'ils parlent de moi ?"

Quelques jours plus tard, en découvrant ailleurs et à prix cassés les mêmes ponchos et bonnets péruviens plus du tout équitables, le charme est cassé. Difficile pourtant de lui en vouloir : Gloria est juste plus futée que d'autres pour attirer à elle les devises tant convoitées. Comme Efraim ou les Cayllominos du canyon de Colca, le touriste est devenu son aliment de base. Mais tous ne réussissent pas à picorer dans l'assiette du développement touristique.

Antoine Bayet

Alparolado. En Pisac (sudo de Peruo), ankaŭ Gloria tute intencas profiti la ondon de turistoj kiuj tie vizitas unu el la plej belaj inkaaj lokoj de la regiono. Sed, kontraŭe de Efraim, ŝi ne ŝanĝis siajn tradiciojn, male: ŝi substrekas ilin. La tradicia metiarto, jen ŝia merkatero. Kaj egalrajta, krome! Sur la sojlo de sia butiko, ŝi alparolas tiujn, kiujn ŝi rekonas kiel franclingvanojn, per franca lingvo, kiun ŝi laŭdire lernis "kun iu amanto". Per nekutimaj argumentoj, ĉar ŝin oni kredu, "franclingvanoj ne estas kiel la usonaj gringoj". Ŝi povas, kun ili, "paroli pri egalrajta komerco, tio interesas [ilin]!". Tion ŝi asertas: ĉio vendata en ŝia butiko estas "egalrajta". Kun ŝarĝitaj brakoj oni forlasas ŝin, ne sen ke lastan fojon ŝi petis de ni: "Ĉu vi promesas min ke vi skribos al via libro, tiu Guide du routard, por ke ili parolu pri mi?"

Kelkajn tagojn poste, malkovrante aliloke kaj por etaj prezoj la samajn ponĉojn kaj peruajn ĉapojn tute ne plu egalrajtajn, la iluzio estas for. Tamen malfacilas riproĉi kontraŭ ŝi: Gloria estas nur pli ruza ol aliaj por altiri al si la tiom deziratajn valutojn. Same por Efraim aŭ la Cayllominos de la Colca Kanjono, la turisto fariĝis ŝia baza nutrao. Sed ne ĉiuj sukcesas beki en la telero de la turista disvolviĝo.

Antoine Bayet
Tradukis Emmanuel Villalta

Portfolio

Rechercher sur le site

La pensée du jour

"Le projet est le brouillon de l'avenir. Parfois, il faut à l'avenir des centaines de brouillons."

Jules Renard

Participer à cette rubrique

Recevoir notre newsletter